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Svalbard été 2010
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SPITZBERG ETE 2010

            20 juin départ pour Bodø à 6 heures du matin dans une lumière lavée par la pluie. 90 milles alternant calmes  et  petites brises. Les paysages se succèdent mais se ressemblent. Il n’y a pas de grande diversité géographique. Malgré cela le paysage n’est pas monotone. Le monument qui marque le cercle polaire par 66°33’de latitude nord est franchi dans l’après-midi. A partir de cette latitude le soleil ne passe plus sous l’horizon. Journées sans fin et soleil de minuit pour quelques semaines. Drôle d’impression que de ne pas avoir de nuit. Le sommeil est difficile à venir. Se forcer pour aller dormir est quasi la règle. Dans la cabine le hublot est calfeutré pour avoir l’obscurité nécessaire au repos.

            A 23 heures Noème est amarré à couple au grand ponton visiteur de Bodø. Celui-ci sert de séparation entre le port de plaisance et le port commercial. L’amarrage se fait à l’extérieur à la merci des vagues des divers bateaux (cargos, pêcheurs, ferries) qui entrent et sortent sans discontinuer. Le ponton est encombré de nombreux voiliers battant pavillon étranger. Ils  hivernent en attendant de remonter plus au nord, mais privés de leurs équipages ils ne sont pas près de partir.

            Bodø reçu en 1816, grâce à l’influence de Mathias Bonsak Krogh premier évêque du Nordland, son statut officiel de centre commercial. La cathédrale achevée en 1956, flanquée d’un campanile (ce qui est rare en Norvège), a une nef en forme de coque de navire renversée, tapissée de dix tapisseries multicolores de style régional mises en valeur par l’éclairage d’un très beau vitrail de 12 mètres de haut. Le reste de cette ville de 36 000 habitants, aux constructions modernes et impersonnelles conséquence de sa destruction durant la seconde guerre mondiale, ne présente pas d’intérêt majeur. Elle est essentiellement un point de passage pour se rendre aux Lofoten et/ou aux Vesteralen. Au sud du centre de ville, à 33 kilomètres, le Saltstraumen vous offrira de voir le courant de marée le plus puissant du monde. Toutes les 6 heures 400 millions de mètres cubes d’eau de mer s’engouffrent dans un étroit passage long de 3 kilomètres pour 150 mètres de large. Suivant les coefficients de marée la vitesse du courant peut atteindre 20 nœuds associé à de monstrueux tourbillons de 10/12 mètres de diamètre. Joli spectacle et haut lieu de pêche pour amateurs. Lieux noirs, cabillauds, loups de l’atlantique et flétans hantent le courant. Plusieurs parcs nationaux sont situés à proximité. Ils permettent de belles randonnées au milieu de paysages d’exception

            Le lendemain il fait frais  avec retour en force de la pluie, Le temps magnifique de l’été dernier n’est plus qu’un souvenir. Malgré le manque de charme de la cité pas question de partir, une amélioration des conditions météo est prévue d’ici 48 heures. La bibliothèque locale offre un havre de chaleur et une connexion internet gratuite appréciée par le voyageur de passage qui ainsi peut attendre en toute quiétude le retour supposé du beau temps.

            Toujours plus nord, Lodingen le 23 juin au soir. Premier port au sud des Vesteralen au fond de Vestfjord, à l’entrée du Tjeldsund, construit dans une petite baie ouverte au sud-est, deux pontons dévolus aux voiliers de passage dans un beau cadre montagneux. Peu de service si ce n’est dans la rue principale une épicerie et le long des quais des conserveries de poissons.

            A 23h30 le 24 juin après une  journée sans vent mais ensoleillée, mouillage dans la petite baie de Kårvika occupée en partie par une énorme usine de transformation de poisson associée à un fumet typique. Comme il est tard et bien que  Tromsø ne soit plus qu’à 25 milles, l’ancre est mouillée. Le vent en fin de soirée tournera suffisamment pour diriger les odeurs vers d’autres rivages. Le lendemain Noème est au ponton de la marina de la « Paris du nord » par 69°40’ nord à midi trente. Ici c’est la dernière escale avant la traversée pour le Spitzberg.

Tromspø s'illumine sous le soleil à notre arrivée. Les montagnes environnantes très enneigées, la brise de nord-est qui se refroidie en passant sur la neige, renforcent l'impression de froidure ambiante. Ici pas de nuit, le soleil passe ses journées sans fin au-dessus de l'horizon. A minuit il scintille sur la mer qu'il embrase d'or, ou se teinte de rouge entre les montagnes.

            Tromsø, c’est la grande ville du nord avec ses 65000 habitants. Surnommée parfois la porte de l’Arctique ; nombreuses furent les expéditions à destination du pôle nord qui partirent de son port et continuent d’en partir de nos jours. Le site fut occupé dès le XIII siècle date à laquelle la cité obtint le statut de municipalité. La ville, cosmopolite, vivant aux rythmes des manifestations culturelles détient l’université, la cathédrale et le jardin botanique les plus septentrionaux au monde. Le centre de la ville établi sur l’île de Tromsøya est particulièrement animé avec ses musiciens, marchands ambulants, les clients des pubs disséminés dans toutes les rues, et il est raccordé par deux grands ponts à ses faubourgs. Le premier relie le centre-ville aux quartiers de Tromsdalen sur le continent et le second permet de rejoindre la banlieue située sur l’île de Kvaløya.

            Le musée de l’arctique, Polaria, dont l’architecture originale évoque des blocs de glace repoussés par la mer sur les terres arctiques, a été inauguré en 1998 par le roi Harald. Ce n’est pas seulement un musée c’est aussi un centre de recherche polaire. A l’intérieur un aquarium héberge des poissons des régions arctiques et quelques phoques, un film panoramique déroule les images des somptueux paysages naturels extrêmes et primitifs du Spitzberg, des expositions sont consacrées à la géologie à la faune à la flore et au peuplement humain. Le musée polaire situé sur le port est un joyau du vieux Tromsø, les expositions retracent l’histoire des expéditions polaires et de la chasse à la baleine. Le musée universitaire pour sa part s’intéresse à la culture Samie passée et présente, aux fossiles de dinosaures, à la vie à l’âge de la pierre, aux Vikings.

            Ne pas oublier de visiter la cathédrale des mers arctiques au monumental vitrail et dont l’architecture s’inspire de la nature environnante, le jardin botanique alpin arctique où fleurisse de mai à octobre une flore des régions froides de la planète (Sibérie,  Himalaya, Patagonie, des montagnes rocheuses, etc.). 

            Le centre météorologique fait aussi parti des sites visités  par le navigateur qui souhaite voguer sur l’Océan Glacial Arctique pour atteindre  le Svalbard et qui, pour éviter au mieux les aléas météorologiques d’une traversée de quelques jours, vient ici chercher les dernières informations météorologiques. L’accueil est toujours emprunt de gentillesse et les prévisionnistes livrent les dernières informations sans rechigner. Ces derniers prévoient pour les 5  jours à venir un vent d’est modéré de 10/15 nœuds et du soleil avec une fiabilité de 80%. C’est donc une bonne fenêtre pour entreprendre la traversée. A peu près à mi-chemin sur la route  l’île aux ours, en cas de dégradation du temps, offre la possibilité de s’abriter même si les abris y sont peu nombreux et pas toujours bien protégés.

            

                                                                                                

            Le 29 juin dans l’après-midi, les soutes pleines et les réservoirs de gazole remplis à ras-bord (plus une centaine de litres en bidons), Noème quitte Tromsø. Petit largue toutes voiles dehors dans Grøtsund puis Langsund mais voilà que le ciel s’obscurcit, le vent gagne en puissance, se renforce au flanc des montagnes. Grand voile réduite à un ris puis à deux, yankee réduit aussi. Mais l’anémomètre continu à grimper 30 puis 35 puis 40 nœuds dans un ciel tourmenté. Le vent siffle dans les haubans, les fait vibrer. La mer agitée, écumeuse, est soufflée par le vent. Noème gîte brutalement sous les rafales dans une mer hachée aux embruns tourbillonnants. Grand voile entièrement arisée, yankee totalement enroulé, Noème progresse au près sous trinquette seule et va passer devant Torsvag, petit port bien abrité sur l’île de Vannøy à la sortie de Hamarfjord, juste avant de quitter le continent. Changement de direction et cap sur l’entrée pour laisser passer ce coup de torchon. Décidément dans cette région du monde, sur le plan météorologique, il faut s’attendre à  des changements rapides et violents qui ne peuvent être anticipés par les prévisions météo.  A quatre heures du matin le fort coup de vent est épuisé, nouveau départ en compagnie de plusieurs bateaux de pêche. Beau temps, le gennaker est établi. La mer est belle, vide, à part quelques oiseaux hauts dans les airs. Une mouette se posera sur la bouée couronne et se toilettera longuement avant de reprendre son vol. La routine s’installe à bord, le temps passe entre contrôle de la route, réglage des voiles, lectures et quarts irréguliers. Au deuxième jour la mer est toujours vide, progression imperturbable sous gennaker. Puis le vent faiblit, de plus en plus, disparait. Le gennaker bat pitoyablement au gré d’une petite houle qui ballotte Noème. Pétole totale. Le moteur est lancé. Tout va bien à bord. Beau temps, belle mer.

            Les premières glaces apparaissent au troisième jour à une heure du matin, dispersées, noyées dans le brouillard et flottant sur une mer grise et lisse, accompagnées d’une baisse significative de la température extérieure. C’est un moment émouvant mais l’attention redouble car la navigation se fait à vue. La concentration de glace est encore faible mais prudence. La pointe sud de l'archipel du Svalbard, Sorkapp à 76°28’N, est débordée de trente milles à l'ouest. Les dernières informations sur l'étendue du pack de glace datent d'il y a 4 jours. A ce moment-là le pack s'étendait à plus de 25 milles dans l’ouest. Plus au nord dans la matinée, la brume s’est dissipée et le soleil dans un air limpide éclaire le pack d’une blancheur inouïe aux reflets bleutés. Le pack nous sépare de la côte et semble impénétrable. D’énormes blocs de glace se juxtaposent, s’entremêlent. Devant Noème brille un long promontoire de glace dense, colonisé par d'innombrables phoques qui se prélassent au soleil. Engoncé dans plusieurs couches de vêtements polaires, l'équipage contourne l’éperon, impossible d’y trouver un passage tellement la glace est compacte. Route au sud-ouest pendant trois milles pour déborder la glace avant de pouvoir reprendre la route au nord. Toute la matinée à tour de rôle les deux barreurs vont slalomer à travers les morceaux de glace plus ou moins resserrés, parfois bleutés, aux formes biscornues et infinies. Le choc des growlers résonne sinistrement  sur le bordé. Un crissement accompagne les blocs de glace quand ils glissent le long de la coque.  Par trois fois de l'ouest est mis dans la route pour passer d'autres promontoires de glace tout aussi infranchissables. A la hauteur  de Bellsund (77° 30' nord) la densité du pack décroit, la mer devient de plus en plus ouverte. La route vers  Isfjorden et ensuite Longyearbyen est dégagée. Libérés de la tension des derniers jours, la navigation dans Isfjorden  se fait dans un cadre époustouflant. Le soleil de minuit embrase les glaciers qui tombent dans la mer. Glaciers entourés de montagnes enneigées austères et rébarbatives aux sommets ennuagés.  Longyearbyen est touché à trois heures du matin, après 4 jours de navigation. Un ponton est installé à proximité du quai en béton qui fait office de port, il y a deux voiliers un polonais et un écossais. Les deux voiliers occupent toute la place, le port est saturé, il y a affluence ce matin à Longyearbyen. A couple pour notre première escale au Spitzberg. Dans la matinée, aux heures ouvrables, une visite au bureau du gouverneur est prévue pour annoncer notre arrivée et remplir les documents officiels. Ca y est, c’est fait  nous y sommes, après en avoir parlé pendant des années.

            Au réveil conversation avec les voisins de ponton, surtout l’écossais. Un équipage de trois écossais pur jus. Le bateau s’appelle Tournesol. Ils ont fait route directe depuis les Schetland, dix jours de navigations non stop et un sévère coup de vent en cours de route qui les a un peu secoué, dans l’après midi ils s’en vont direction l’île de Moffen au nord du Spitzberg.

            Depuis le port, Longyearbyen, la seule vraie ville de l’archipel avec ses 1500 habitants, se  détache dans un site grandiose marquée des flétrissures des mines de charbon maintenant à l’abandon. On accède au centre administratif en montant le long d’une route goudronnée dans un paysage lugubre,  imposant et désertique. En de rares lieux lichens et brins d’herbe poussent. Par-ci par-là, au milieu de la rocaille, de tout aussi rares fleurs en bouquet émergent et se dépêchent de profiter du court été. En contrebas de la route l'agglomération apparait d'une précarité définitive malgré les nombreux édifices modernes en construction et plus particulièrement des hôtels. Constructions liées au développement du tourisme depuis la fermeture des mines de charbon. Devant les maisons stationnent, inactifs skis, motoneiges et volumineuses pelles.  Au « Palais du Gouverneur », en bois peint gris anthracite, la porte d’entrée s’ouvre sur un grand sas aux murs recouverts d’étagères garnies de chaussures en plastiques. Ces chaussures sont mises à la disposition des visiteurs. Ici avant d’entrer dans un bâtiment on ôte ses souliers pour ne pas maculer le sol de traces. Cette habitude remonte à l’époque de l’exploitation charbonnière, période durant laquelle la poussière de charbon, extrêmement salissante, envahissait tout. Une secrétaire nous fait attendre puis au bout d’un long moment nous sommes reçus par la responsable du service qui s’occupe des voyageurs individuels. Les formalités ne durent que 5 minutes, notre dossier est complet. Nous sommes libres de circuler et naviguer au Spitzberg. Nous récupérons nos croquenots et partons à la découverte de la ville.

            Une rue piétonne centrale dévolue au tourisme, traverse la ville de part en part. Tourisme de masse essentiellement maritime.  En deux jours plusieurs énormes bateaux de croisières  s'arrêteront quelques heures au port, vomissant leurs milliers de passagers qui s'empressent de parcourir les boutiques avant de se réfugier rapidement dans la chaleur douillette de leur cabine car la température est comprise entre 0°C et 5°C en plein été.

  

SPITZBERG ETE 2010

            Plus intéressant le musée du Svalbard mérite une visite. Elle s’organise autour de sections retraçant le mode de vie rude des premiers chasseurs (de baleines, de morses et de phoques), puis des trappeurs qui leurs succédèrent et enfin des derniers arrivants : les mineurs. Isolée dans un coin la bibliothèque propose à la lecture un choix d'ouvrages  que l'on peu consulter allongé sur des peaux de bêtes et des coussins. Plus loin des animaux naturalisés sont mis en situation dans une réplique de leur milieu naturel.


            La visite de Longyearbyen achevé, par un ciel dégagé et une ambiance d’été, qu’il est agréable de remonter Advenfjord voiles établies hautes puis trois milles plus loin à virer au nord–est et embouquer Sassenfjord toujours par petite brise dans une lumière bleutée liée aux nombreux glaciers qui bordent le fjord. Templefjord est laissé à tribord. A l’entrée de Billefjord sur bâbord  une petite baie se dessine : Skansbukta. Ce sera l’escale de la nuit! Disons du jour. Petite baie à l’ouest du Cap Fleur de Lys, circonscrite par une ligne de montagnes aux sommets aplatis par l’érosion, aux flancs burinés de strates entaillées profondément dans la roche et aux bases pyramidales. Mouillage par 5 à 6 mètres de fond de vase. Sur la plage un groupe de trekkeurs s’active pour installer leur bivouac dans ce cadre absolument désertique. Le mouillage va se révéler être rouleur, une petite houle régulière fait dandiner Noème au bout de sa chaîne. Quelques heures plus tard un Hurtigruten vient mouiller dans cette minuscule baie qu’il remplit de sa masse. La foule des passagers s’agglutine au bastingage, le temps de quelques photos et bien vite retourne à l’abri des baies de la cabine.


            Nuit calme et ensoleillée. Au matin remonté de Billefjord en direction de la ville minière russe Pyramiden à 9 milles de Skansbukta. Le nom de Pyramiden lui vient d’une montagne toute proche entourée de glaciers, à la forme pyramidale et nommée elle-même Pyramiden. Vent absent et mer miroir pour ce court trajet. Route au moteur pour arriver et mouiller  devant un quai en bois vermoulu. La ville fut abandonnée en 1998 lorsque la mine perdit sa rentabilité et que les Russes ne voulurent plus la subventionner. A l’époque de sa splendeur, au début des années 90, la ville habitée par 2500 habitants, disposait d’immeubles typiquement russes, d’une école, d’un hôpital, d’une piscine et de nombreuses exploitations agricoles avec des vaches assurant ainsi une partie de l’alimentation de la population. En une dizaine d’années les bâtiments, habitations et usines désaffectés sont en voie de délabrement rapide lié à la rudesse du climat. On pense à tous ces ouvriers qui dans des conditions de rigueur extrême et de rusticité extrayaient cette houille au fond de long boyaux insalubres, à leurs familles dont la vie devait être difficile et relativement précaire. Dans la journée un voilier polonais puis un voilier français rejoignent le mouillage. Une compagnie discrète chacun restant à son bord.


            Après quelques heures de sommeil toujours aussi difficile à trouver malgré une obturation des hublots de la cabine afin de limiter la lumière solaire permanente, c’est l’approche du glacier Pyramiden à toute petite vitesse au moteur car le vent et toujours absent. A faible allure les growlers frappent la coque qui résonne à chaque impact mais ne l’abîme pas. Ces morceaux de glace ne présentent pas une masse apparente énorme mais le hic est que seulement deux dixième du total du volume du glaçon émerge le reste est sous l’eau. Le poids global fait rapidement une à plusieurs tonnes selon les blocs de glace. Il est préférable de les pousser de l’étrave pour les écarter plutôt que les percuter violemment.


            L’approche du front du glacier se fait prudemment. Il est théoriquement interdit de s’approcher à moins de trois cent mètres car il peut vêler brusquement. Cette masse de glace imposante qui s’effondre brutalement dans la mer déclenche un véritable mini raz-de-marée. La vague résultante peut mettre en péril le bateau trop intrépide, au minimum elle le fait gigoter au moment où elle passe. Il y a une deuxième raison à cette prudence, c’est que les fonds ne sont plus cartographiés. La levée des fonds remonte à plusieurs dizaines d’années et les glaciers ont beaucoup reculé, pour Pyramiden par exemple par rapport à la cartographie du bord il ya une bonne centaine de mètres de retrait.


            Léonie D’Aunet, qui vint au Spitzberg en 1839, décrit dans son ouvrage « Voyage d’une femme au Spitzberg » pour le mois de juillet des paysages envahis par la neige et la glace, des températures fort basses, de grosses difficultés de navigation liées aux glaces dérivantes. Elle précise qu’elle descend à neige et non à terre car à cette époque la terre était rarement découverte de son manteau neigeux. Le réchauffement climatique n’est visiblement pas une élucubration de climatologue.


            Une brume surmonte le glacier. Le spectacle est féérique. L’incidence de la lumière colore de bleu la glace, un bleu aux multiples dégradés. Des nuées d'oiseaux virevoltent dans le ciel, atterrissent et se posent sur les growlers ou sur l’eau, parfois dérangent les phoques allongés sur les blocs de glace flottants, un lit certainement douillet pour eux. A l’approche de Noème un phoque à la tête noire, à la fourrure soyeuse  gris clair  presque blanche sous le ventre, se coule à l’eau sans aucune précipitation ,sa tranquillité manifestement perturbée. D’être admiré desi près ne lui convient point. Les macareux inquiets tournicotent sur l’eau en une étrange valse qui les éloignent de la coque avant de plonger pour réapparaitre à bonne distance. Les guillemots font de même. Les  pétrels fulmars eux s’envolent.


            La sensation d’être au premier jour du monde est renforcée par la solitude du voyageur troublé devant ce spectacle qui le submerge. A un moment il faut partir, briser le charme du lieu, pour s’en retourner. Le retour à la réalité se fait rapidement, le vent fait son apparition et d’un état contemplatif le navigateur passe à un état actif, réglages des voiles, contrôle de la route. C’est le retour sur Longyearbyen par 25 nœuds de vent au près, pour progresser il faut tirer des bords dans un clapot rude. A l’arrivée surprise, plus de places aux pontons. Quelle affluence après trois jours d’absence! Pas d’autre solution que de mouiller l’ancre. Noème est embossé par trois mètres de fond à proximité de la capitainerie. Il est minuit et le soleil brille de mille feux.

            Demain l’équipage se renforce. Nos amis Corinne et Guy, voyageurs impénitents rejoignent le bord pour une première navigation sous les hautes latitudes. A quelle latitude ? Cela dépendra du temps bien évidemment. L’aéroport est à 1 km du port, une marche est la bienvenue après ces trois jours sur le bateau. L’avion se pose à l’heure à vingt-trois heures. Retour par le bus puis installation à bord après plusieurs navettes avec l’annexe pour transporter tout leur barda. Dîner et bavardages. Le soleil brille toujours à quatre heures du matin mais il est temps d’aller dormir.


  

            Le 10 juillet au matin visite de Longyearbyen par un beau temps frais et ensoleillé. A 17h30 le mouillage est relevé, en route pour le nord du Svalbard. La route consiste à quitter Isfjorden en longeant la côte nord du fjord et passer à proximité d’un ensemble de trois glaciers qui se jettent dans la mer. A la sortie d’Isfjorden la route remonte au Nord-nord-ouest et s’engage dans Forlandsund, un passage protégé entre l’île principale Spitzbergen et l’île Prins Karl une île tout en longueur (45 milles de long pour 5 milles de large). Une large plaine basse de 10 milles en son centre sépare deux massifs montagneux, l’un au nord avec des glaciers et un second au sud. De loin ce relief fait croire à l’existence de deux îles indépendantes. Le ciel se couvre, la température fraîchit, un crachin maussade enveloppe le paysage au point de réduire la visibilité à un quart de milles. Le mouillage prévu à Farmhamna, une petite baie ouverte au nord dans l’est de Forlandsund, est touché à deux heures du matin. La bruine est si intense que le meilleur emplacement est difficile à trouver, des écueils et des hauts-fonds  tapissent la baie dans son sud mais le plan d’eau reste calme. Il fait froid et il vente. Noème maintenu bout au vent l’ancre descend et la chaîne se dévide. Noème cul, cul encore. L’ancre ne   croche pas. Le mouillage est remonté difficilement, l’ancre au sortir de l’eau est noyée dans un amas d’algues géantes marrons et gluantes. Ces algues tapissent le fond, l’ancre ne parvient  pas à s’enfouir. La troisième tentative est la bonne. Ouf, heureux de se mettre à l’abri et profiter de la chaleur dégagée par le chauffage à air pulsé. Brrr ! Quel temps ! Dans la journée il n’y aura aucune amélioration. Le rivage de temps à autre est entre-aperçu dans une déchirure de la bruine. Lecture, crêpes et gâteau au chocolat seront au menu du jour. L’équipage n’a aucune envie d’aller se faire rincer, il préfère attendre une embellie.

            

            Au matin du 12 juillet l’ancre est hissée à bord, les algues repoussées à la gaffe. Un brouillard dense a recouvert le paysage, il ne pleut plus. Le vent est tombé. Prochaine étape Ny Ålesund 35 milles au nord. Progressivement le brouillard se délite, le soleil fait remonter un peu la température, quelques épaisseurs de polaires regagnent la cabine, la ribambelle de gants est accrochée au pataras pour sécher. La lumière est cristalline, le ciel et la mer d’un bleu profond, la blancheur des glaciers venant mourir dans la mer est aveuglante. Des milliers d’oiseaux volent ou s’entremêlent  sur l’eau et la glace. D’autres tout aussi nombreux nichent dans les hautes falaises, s’en échappent et y reviennent dans un ballet sans fin, étourdissant.


            Avance au moteur, pas une ride sur l’eau. Peu de glaces dérivantes et toujours autant d’oiseaux. A la sortie de Forlandsund, la baie du Roi se présente par une large ouverture  sur tribord. Dans une lumière limpide le spectacle est époustouflant, majestueux. De nombreux glaciers déversent leur trop-plein de glace, des champs de verdure disséminés  dans les étendues rocailleuses cassent la monotonie des couleurs pierreuses. Et toujours autant de fulmars, macareux, sternes arctiques, mouettes tridactyles. De temps en temps émergent à la surface des têtes de phoques toutes rondes qui tel un périscope, balaient l'horizon.


            Bientôt des bâtiments tout en couleurs se détachent sur la côte : Ny Ålesund. Il y a un tout petit port avec un quai et un ponton pas très grand mais libre. Accostage et amarrage. Cela sera plus pratique pour aller visiter la ville. Située par 79° de latitude nord cette ville, autrefois ville minière fondée en 1916, est devenue une base scientifique internationale. 130 habitants l’été pour une trentaine pendant la période hivernale et autrefois elle en comptât jusqu’à 300 essentiellement des mineurs.  Elle peut se considérer comme la ville habitée en permanence la plus septentrionale du monde. La dernière mine de charbon ferma en 1963 lorsqu’une ultime explosion provoqua la mort de 21 mineurs. Dans un musée ouvert au voyageur de passage et gratuit, une réplique d’une habitation de l’époque des mineurs, avec mobilier, ustensiles de cuisine, tenues vestimentaires, rend compte de la vie dure et âpre que menait les résidents. Epinglées aux murs de cette demeure reconstituée, des photos jaunies montrent  une vie sociale bien organisée : des scènes de fêtes, des réunions, des familles avec enfants en bas-âges partageant un goûter d’anniversaire.  Il ne reste rien de ces années d’exploitation houillère si ce n’est, sur un tronçon de voie ferrée, une locomotive à vapeur et ses wagons de bois qui transportaient le charbon extrait des mines vers le port. La reconversion s’est faite vers une recherche scientifique de pointe (météorologie, ornithologie, biologie marine, pollution, glaciologie, etc.). Des chercheurs d'une quinzaine de nationalité sont présents, dont des chinois et des hindous. Un kilomètre et demi d’un parcours balisé permet de se déplacer dans cette petite cité. Une renarde arctique accompagnée de deux renardeaux se déplace, insouciante, entre et sous les maisons de bois aux couleurs vives. De nombreuses oies bernaches en couple surveillent leurs oisillons qui n’arrêtent pas de picorer le sol. Les sternes arctiques sont innombrables et nidifient à même le sol. Agressives dès que l’on s’approche trop près de leurs nids dans lesquels un à deux œufs sont couvés ou un à deux oisillons piaillent si les œufs ont déjà éclos.  Elles attaquent en piqué, bec en avant, vers le sommet du crâne de l’inopportun qui n’a d’autre solution que de s’éloigner au plus vite du nid. Des rennes en pleine mue s’amusent du spectacle, ruminant un pauvre lichen. Un peu plus loin, un pylône hideux défigure ce site, certainement l’un des plus beaux au monde. Ce pylône a une histoire : c’est le mât d’amarrage du dirigeable Norge. Amundsen et Nobile partirent de Ny Ålesund dans leur dirigeable et passèrent au-dessus du pôle nord avant d’atterrir en Alaska, nous étions en 1926.